Une éducation à l'utilisation du courrier électronique

 

 

 

 

 

A la recherche de Penny Brown : Une éducation à l’usage du courrier électronique

 

Depuis 1997, la classe de Névache (village de 300 habitants perché à 1600 m au fond d’une vallée des Hautes-Alpes) a intégré l’usage d’Internet dans le cadre des apprentissages à l’école élémentaire. Nous faisons quasi-quotidiennement une mise à jour de notre site Internet http://ecole.nevache.free.fr , et nous nous faisons un devoir de répondre aux divers et nombreux courriers relevés dans notre Boîte Aux Lettres électronique. Nous gérons ces activités de façon coopérative. Aussi, quand Odile Chenevez du CLEMI de l’académie d’Aix-Marseille nous a proposé de participer à un projet d’éducation aux risques liés à l’usage d’Internet (http://www.educaunet.org) , je n’ai pas hésité à inscrire ma classe, ceci répondant à un de mes soucis de pédagogue et de citoyen.

Me voici donc parti à l’IUFM d’Aix pour une première rencontre avec les différents partenaires. Dans un premier temps, j’avais une vision restreinte du champ d’activité de l’expérimentation, pensant surtout à l’aspect « visite de sites ». Et puis je me suis aperçu, en discutant avec les collègues, que l’éducation aux risques d’Internet devait être beaucoup plus large. Ce qui m’a été confirmé par la suite en parlant avec des parents d’élèves qui commencent à se connecter à Internet.

Le courrier électronique
J’ai pris alors conscience que j’induisais mes élèves en erreur, puisque je sélectionnais en amont les messages électroniques susceptibles d’être traités par mes élèves. Ce qui fait qu’ils croyaient qu’un message électronique était digne de foi ! Ce problème ne m’apparaissait pas encore parce que mes élèves n’avaient pas accès à la messagerie de façon individuelle et personnelle, c’est à dire privée. Mais les choses vont vite et plusieurs anciens élèves commencent à surfer « pour leur compte », et sans véritable contrôle de la part de leurs parents qui ne sont pas compétents en la matière.

Illustration issue de http://www.humour.com
envoyée par Joc Lux, un des participants à l’expérimentation Educaunet

J’ai donc décidé de transmettre à mes élèves (pratiquement) tous les messages que nous recevions à l’école.

A la recherche de Penny Brown
Le premier a été reçu d’une ancienne élève, fille de gendarme :

Subject: PHOTO D'UNE PETITE FILLE DISPARUE, FAIRE SUIVRE, MERCI

Ce courrier venant d’une ancienne camarade de classe que nous connaissons bien, les élèves souhaitent immédiatement transmettre ce message à tout notre carnet d’adresses. Je leur demande quand même de vérifier les sources, et ils décident de demander un complément d’information à l’auteure du message.

« Bonjour Corinne,
Merci du courrier. Es-tu sûre que cette photo n’est pas un canular ? Nous ne l’avons pas fait suivre, nous attendons ta réponse. Au revoir, Yves, cm2. pour la classe »

Le lendemain, j’annonce à mes élèves que j’ai retrouvé « Penny Brown », et nous allons à sa recherche sur Internet. Nous nous connectons sur http://www.hoaxbuster.com et nous retrouvons la photo que nous avions reçue.

Les élèves ont du mal à comprendre qu’il s’agit d’un canular. J’ai l’impression qu’un voile se déchire devant leurs yeux. Quoi ? Les messages qu’on nous envoie ne sont pas tous vrais ? Mais pourtant les parents de notre camarade ne laisseraient pas partir un faux message d’information ?

Ils sont rassurés quand ils savent que beaucoup d’autres personnes se sont faites avoir, même des gendarmes, même des Maires, même un consulat...

Conclusions des élèves : « J’ai appris ce qu’était un canular. Il ne faut pas transmettre n’importe quoi sur Internet. » Dominique, 9 ans. « J’ai appris qu’il faut faire attention à ce qu’on reçoit par Internet. Je sais qu’il peut y avoir de tout sur Internet .» Gilles, 10 ans.

Je fais rapidement part de notre activité aux autres membres du réseau d’expérimentation d’Educaunet, et quelques jours plus tard nous recevons des nouvelles de la classe de Thibaut Defosse :

Extraits du rapport d’observation de Thibaut Defosse
« Envoi par courrier électronique du message concernant Penny Brown.
S'IL VOUS PLAÎT REGARDEZ LA PHOTO CI-JOINTE ET TRANSMETTEZ CE COURRIEL À TOUTES VOS CONNAISSANCES :
Ma fille de 9 ans, Penny Brown, a disparu depuis maintenant deux semaines.
Il n'est pas trop tard, s'il vous plaît, aidez-nous. Si jamais quelqu'un sait quelque chose ou voit quelque chose, contactez-moi à l'adresse suivante.
Je joins une photo d'elle. Toutes les prières sont appréciées!!
Ça prend seulement 2 secondes pour envoyer ce courriel, si c'était votre enfant vous aimeriez avoir toute l'aide possible.
S'il vous plaît, merci pour votre gentillesse, en espérant que vous puissiez nous aider.
Carol Toteda
(514) 843-2533
zicozicozico@hotmail.com
mailto:zicozicozico@hotmail.com

+ photo de Penny Brown (cf ci-dessus)

Les élèves commencent par être étonnés et souhaitent absolument envoyer ce message à tout leur carnet d’adresses. Ils sont totalement pris par l’affectif de la lettre et ne lisent qu’entre les lignes sans réfléchir.

Je leur conseille avant de transmettre ce mail à tout le monde de réfléchir et de se renseigner sur cette Penny Brown. Cependant deux élèves le forwardent sans attendre (ils enverront par la suite un démenti de ces informations avec la page de hoaxbuster)

La participation des élèves est extraordinaire !!! Ils sont rentrés dans le jeu dès le début et se sont tous mis en situation de recherche.

Les questions sur les risques d’Internet sont alors apparues. Que faire si on trouve sa photo sur Internet ou dans un mail concernant une rumeur ? Ils se sont mis dans la peau de la fille qui aurait sa photo qui circule sur Internet et qui se fait interpeller dans la rue car elle a disparu.

Les élèves commencent à se rendre compte que certaines personnes sur Internet peuvent avoir des intentions qui ne sont pas bonnes. 

PS : J’ai fait le test de l’envoyer aux différents professeurs de l’école. Ils se sont également empressés de renvoyer ce mail à toutes leurs connaissances. Comme quoi, la plupart des adultes n’ont également pas trop d’esprit critique par rapport à Internet et acceptent tout cru ce qu’on leur présente.»

Suites
Mes élèves sont passionnés d’apprendre qu’une autre classe a suivi le même parcours qu’eux.

Par la suite, nous recevrons encore un message d’une de nos correspondantes pour retrouver Penny Brown. Les élèves alors répondent rapidement qu’il ne faut pas croire tout ce qui est écrit et donnent l’adresse de hoaxbuster.

Nous traitons désormais régulièrement les différents courriers et c’est devenu un jeu que les élèves affectionnent particulièrement : la chasse aux fausses recherches, aux faux virus, aux invitations pornographiques, aux arnaques en tous genres…

Par contre, nous n’avons pas encore abordé le problème des messages anodins qui renvoient sur des sites pornos… mais Educaunet ne fait que commencer, et plus qu’un projet, et au-delà de quelques jeux par ailleurs très intéressants, je crois qu’il s’agit véritablement d’une prise de conscience, de tout un programme, d’un nouvel état d’esprit éducatif. Encore que l’éveil de l’esprit critique fasse déjà parti des Instructions Officielles depuis longtemps. Mais maintenant avec l’usage d’Internet, ce qui semblait intéressant du point de vu du développement de la personnalité devient un outil de base quant à l’insertion de l’individu dans notre société. Il s’agit véritablement d’éducation à la citoyenneté ! Hic et nunc, urbi et orbi. Pour ne pas dire Internet.

Nicolas Izquierdo, avril 2002, expérimentation Educaunet.

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